Violence cachée

Nombreux, vous avez été à me demander la raison pour laquelle, je n'avais pas narré une de mes crises dans mon premier livre. La réponse est évidente, cela était irréalisable, je la sentais croître en moi et puis le néant, seules les personnes présentes auraient pu témoigner des faits mais à cette époque je n'étais pas prête à entendre ou assister à cette réalité dramatique qui allait me bouleverser.

C'est en ce jour de juin 2015 où j'ai failli perdre la vie, que le déroulement de la crise a été entièrement filmé à ma demande quelques mois auparavant. Je ne me doutais pas que j'allais découvrir l'horreur, des images qui me marqueront à jamais. Après avoir retrouvé mes esprits, j'ai hésité, puis j'ai regardé, je devais le voir un jour mais il y a un monde entre que l'on ne peut imaginer, les récits et les images.

La pellicule, le son tout comme au cinéma sauf que sur l'écran l'actrice ne joue pas un rôle, elle le subit. J'ai subi le rôle et je suis loin d'être une actrice! Je n'oublierai jamais cette sensation d'étouffement que j'ai eu en me voyant sur ces clichés, un choc violent m'a serrée la poitrine, une scène de terreur d'un film hollywoodien. Une violence insoutenable dans mon regard, des gestes agressifs et une fureur à travers mes mots, je ne me reconnaissais pas, mes expressions n'étaient pas les miennes, ma voix aussi ne m'appartenait plus, sans doute celle de Mary, présente dans mon âme pour la détruire, l'anéantir et posséder une fois de plus mon corps.

Ce soir-là, j'ai découvert ce qui se cachait dans la profondeur et la noirceur du puits qui m'appelle souvent à lui. Des cris, des larmes, une douleur compressant ma tête, des prières à genoux implorant le pardon pour ne plus souffrir. M'endormir, ne plus me réveiller, ne plus vouloir ressentir la détresse ou l'humiliation d'être ce que j'étais devenue et me noyer dans l'alcool encore et encore. Fugueuse pour fuir le regard de ma famille, le dégoût de mon être et la honte d'être l'autre.

Je fixais l'écran me voyant souffrir, suppliant que tout cela s'arrête, me punissant en brisant des souvenirs d'enfance et appelant ma mère au secours. Ivre, sous l'effet indésirable des médicaments, j'étais devenue un monstre, ce même monstre qui pendant des années avait terrorisé mon fils et mon mari. Sur cette vidéo, mes fantômes apparus à mes yeux étaient mes sauveurs, seuls eux pouvaient m'emmener loin de ce monde où je n'avais pas ma place, je leur appartenais, ils devaient m'enlever. Des mots sans aucun sens sont sortis de ma bouche puis des blasphèmes, je venais de basculer.

Après avoir été maîtrisée comme un animal enragé, je me suis retrouvée à l'hôpital aux urgences, mes vêtements déchirés en lambeaux, des griffures sur le visage et les bras, les cheveux sales et en bataille, le maquillage coulant sur mes joues, les ongles arrachés et puis ce couteau de cuisine entre mes mains afin de mutiler mon ventre et de laisser des cicatrices.

Prise en charge immédiatement, j'ai été placée sous surveillance policière dans une pièce vitrée attachée à un lit pour éviter de me nuire durant la nuit qui ne faisait que commencer. Surveillée toutes les 30 minutes, en permanence avec un médecin interprète via internet pour surtout ne pas m'endormir. Et c'est peu à peu que l'infirmière m'a conseillée de m'assoupir une fois les examens terminés.

Les heures ont passé, désorientée et paniquée j'ai ouvert les yeux, le jour se levait, j'allais sortir de mon cauchemar.

A la surprise de tout le monde, mon taux d'alcoolémie étant négatif à mon arrivée et ayant retrouvé ma forme au petit matin, j'ai eu l'autorisation de rentrer chez moi, refusant l'internement ou d'autres soins. Perdue, fatiguée et triste, une pluie de questions allaient s'abattre sur moi. 

J'étais partie pour comprendre et enfin voir la réalité, cette même réalité qui me hante encore. Passée l'épreuve des images endiablées, il m'a fallu plusieurs jours pour retrouver mon souffle et mon calme. Ça repassait en boucle dans ma tête, des flashs puis des coups dans le cœur et la tête. Je venais enfin de réaliser que mon fils avait à plusieurs reprises assisté à ces atrocités et que plus jamais il ne devait revoir sa mère comme cela. PLUS JAMAIS!

Ce matin de la crise, en ouvrant les yeux, j'étais heureuse, en forme, prête à affronter un jour nouveau. Travail, shopping, téléphone avec amis et famille, bref une bonne journée. C'est vers 14h que les premiers signes se sont manifestés, palpitations, angoisses, tremblements, fatigue, vertiges, nausées, hypersensibilité au bruit. La gorge serrée, la montée d'une agressivité, une haine pour tout le monde, un écœurement de moi, envie de pleurer mais pas de larmes, envie de hurler mais pas de voix et la venue d'idées noires très sombres. Mais trop tard, j'étais déjà trop loin.

Elle s'annonce entre 2 et 3 semaines avant, la crise qui va faire de moi une autre. Plus jeune je ne la sentais pas venir et au fil des années j'ai appris à repérer les signes. Une hyperactivité, des idées surprenantes, une joie inhabituelle, des envies de faire la fête et de consommer de l'alcool. Un épuisement rajouté à tout cela, plus un changement d'habitude me pousse directement dans les bras du diable.

Les premières heures où je suis encore consciente rien ne m'arrête, je ris, je chante, je pleure, je bois, je crie, ma tête tourne, j'hallucine, j'ai mal, je hurle de ne pas regarder, de ne pas me toucher. J'ai le sentiment d'avancer vers le vide, de tomber et de me terrasser. 

Cette dernière année, deux légères crises m'ont frappée, c'est un vrai bonheur car mais il faut  savoir que pendant des années je pouvais en avoir une à deux par semaine, voire trois. Je vous laisse imaginer quand cela se passait pendant les vacances en famille, toujours obligée de mentir, de me cacher, de rester au lit ou de faire semblant. Me tordant de douleurs sous le regard de personnes qui ne savent rien, qui me jugeaient sans se rendre compte de qu'il s'était passé la dernière nuit. « Je me poserai toujours la question: comment ai-je fais pour me cacher si longtemps? » afin que personne ne s'aperçoive de l'atrocité que je vivais.

L'heure suivant les cataclysmes n'est pas la plus dure, l'épouvantable moment reste à venir, mise à part une bonne gueule de bois, mon comportement va faire de moi un déchet. Je dévore tout ce que je trouve sucré, salé, je vide mes placards comme une affamée, je bois des litres de soda ou d'eau en pensant me purifier, je me fais vomir, je pleure une pluie de larmes jusqu'à l'épuisement et seulement après commenceront les douleurs physiques et morales.

Plusieurs chutes auront provoqué des hématomes et des bosses, des courbatures surgiront suite à m’être cognée contre les murs, un train n'aurait pas fait mieux si j'étais passée dessous.

L'explosion de ma tête et une dépression sérieuse s'installeront pour plusieurs jours. Plus la force de penser, un sommeil comateux me tombera dessus et c'est après une petite semaine que ma forme resurgira. L'orage est passé.

Mon mari m'avait promis de ne jamais rien révéler, par amour il a tenu sa promesse en mettant sa santé en danger. Sans lui, je ne serais plus là. Alors pour lui et notre fils, je sortirai de cet enfer pour prendre le chemin du paradis et leur dire "Je vais mieux"

ValL